La lampe sur le buffet fait ressortir les imperfections de notre cloison, celle que nous avons posée là, au milieu du salon, pour créer la chambre des enfants, des aînés pardon, car il y aura bientôt un autre enfant ici dont la nouvelle pièce ne sera pas la chambre. Il y a, sur le buffet, l'énorme vase bocal, et la non moins énorme brassée de lilas que Maman a ramenée de chez elle, il est déjà tout rouillé, tout fâné, mais il lui reste encore un peu de parfum, alors, je le laisse. Il y a le fer à repasser, négligemment posé qui attend de devoir aplanir tous les coupons colorés des couvertures en patchwork de mes petits hommes. Il y a, sur mon ordinateur, le petit bol en porcelaine, vide, vide des céréales que je viens de grapiller, butin sucré de la nuit, butin de ras-le-cul du diabète gestationnel, butin de "dis, quand est-ce que tu arrives?".
Il y a eu cette semaine le passage de Maman, sa venue, cette parenthèse suspendue. Elle est repartie ce matin, un seul être vous manque et tout est dépeuplé. J'avais dans l'idée d'écrire un billet où je disais ma longue croyance à la nécessité des cris, puis, peut-être un autre soir. Nous avons ri, beaucoup ri, à en faire pipi dans nos culottes, recherché sur Internet d'anciennes conquêtes, réfléchi à la vie toute autre qu'aurait pu être avec l'éleveur de chevaux, avec le professeur qui enseignait au Maroc et qui a offert un bracelet en argent (que je porte souvent) en guise de cadeau de séparation, avec l'agent immobilier musicien parti vendre des chemises Pierre Cardin, au final ce fut avec mon père (?!?). Nous avons pleuré aussi, la minuscule église d'Oradour sur Glane, les mères, la cloche fondue, le magnifique marronier en contrebas, comment si joli lieu a pu voir si terrible histoire. Nous avons pleuré aussi dans un café, avec Marie, mon amie, celle qui a tout juste douze ans de moins que Maman (et vingt de plus que moi?), et qui compte tant pourtant. Nous avons préparé les affaires du petit C., rangé les bodies, pyjamas et petits ensembles portés par son grand frère, nous sommes étonnés devant la miniature de ses couches, "dis, quand est-ce que tu arrives?".
J'aurais voulu dire plus, faire plus, aller au bout de nos objectifs. J'aurais aimé dire merci, je ne le dis pas assez, je le sais. Merci, merci, merci.
J'ai voulu couper les anglaises du front de Gabriel aussi. Grand mal m'en a pris. Comme ses cheveux bouclent mais n'ont plus assez de longueur pour reformer des anglaises, il ressemble à du Gesclin. Demain, je sacrifie tout. Je n'aime pas le voir sans boucles, mais là, ce n'est vraiment pas une réussite! Je n'ai pas envie que soit immortalisé avec les premières photos du bébé les maladroits coups de ciseaux de sa mère!!!
J'ai nettoyé, trié, rangé la salle de bain, le bébé, en plus d'avoir un endroit où dormir, pourra être lavé sans trop d'encombre à présent. J'ai fixé un porte-manteau dans la porte, et Vincent une étagère au mur, des rideaux dans la chambre du bébé également, ces petits rien me font un bien fou et m'aident à me sentir un peu plus chez moi, moi l'expatriée affective, l'empaqueteuse compulsive, la déracinée aux tempêtes émotionnelles. Les rideaux risquent de ne pas rester longtemps en place, j'en ai repéré d'autres ce matin, assortis à sa chambre, "dis, quand est-ce que tu arrives?".